Le 23 mars 2018, ALADAR a donné en partenariat avec le CAUE de l’Ardèche une conférence sur le thème de la simplicité volontaire en architecture. Ça a été l’occasion pour nous, amis et élèves d’André, de nous replonger dans une réflexion qu’il a ouverte autour de la question de l’ornement, du beau, de l’utile, de l’ostentatoire. Nous avons fait l’expérience de poursuivre cette réflexion dans son sillage, de mettre en lumière les interrogations qu’elle suscite, les parcours qu’elle nous invite à créer et à suivre.
affiche conférence CAUE
Nous publions ici des traces de cette réflexion, telles qu’elles sont ressorties durant la conférence :
Il nous semble qu’avec la question de la simplicité volontaire, André Ravéreau interroge la tension entre les deux pôles « simplicité » et « ostentatoire », entre lesquels oscille la volonté (ou l’absence de volonté) du constructeur. En quoi l’ostentation est-elle volontaire ? Peut-on vouloir être simple, ou la simplicité n’est-elle pas d’abord l’attribut de l’innocence ?
Nous retenons qu’une construction n’est simple que si ses principes structuraux sont clairs et discernables. Aussi, toute matière superflue (à l’image de colonnes qui sont là et pourtant ne portent rien) est à proscrire si l’on compte rester simple. La simplicité, c’est donc d’abord l’économie de matière.C’est ensuite une économie de moyens en temps, en énergie, en argent. Ne peut être vraiment simple une construction sur laquelle on se sera ni arraché les cheveux ni ruiné pour parvenir à grands frais à un effet d’épure.
André Ravéreau poursuit en interrogeant la notion de volonté. Il associe d’abord la simplicité à l’acceptation d’une certaine convention collective. Le pastiche, la contre-façon des dispositifs constructifs sont souvent un choix particulier, individuel. Une telle manière de maquiller un bâtiment est dangereuse pour la simplicité, pour l’astuce, pour le bon sens. En effet, à force de voir des détournements et des incohérences de ce genre, on finit par ne plus rien comprendre, par oublier le sens des dispositifs constructifs. Ces dispositifs forment un lexique, des mots qu’une grammaire constructive va associer pour composer un bâtiment, un abri. Si l’on mélange le sens des mots, si l’on oublie la grammaire, la langue s’effrite, elle se perd, on ne se comprend plus. Cela fait partie des raisons pour lesquelles les cultures disparaissent, par oubli progressif de leurs langues, que ce soit celle de la parole, celle de la construction ou encore celle de l’agriculture.
Il faudrait donc modérer l’individualisme pour privilégier des solutions communes, borner sa volonté personnelle aux règles établies par le groupe. Mais on voit tout de suite qu’une telle affirmation est vite dangereuse si elle est trop strictement associée à un jugement de valeur, qui ajouterait « faire bien, c’est faire avec le groupe ».
Il s’agit de ne pas tomber pas dans ce piège : si André Ravéreau rejette la gratuité de certaines initiatives individuelles, il n’a en revanche que de l’admiration pour toutes les nuances dont sont capables les habitants, à l’intérieur d’un même principe, d’une même logique constructive. Par ailleurs, nous retenons de lui l’habitude de juger les conventions collectives avec autant de sévérité que les initiatives individuelles. Dans certains cas il n’y pas de critique à faire, par exemple lorsqu’il ne s’agit finalement que de peinture, d’un ornement inoffensif en ce qui concerne la justesse des principes constructifs et la possibilité d’accéder à la simplicité.
Et puis, à l’intérieur de la convention collective (peindre son logis), les déclinaisons possibles sont parfois sont multiples et singulières. Ainsi, par volonté individuelle on fait le choix d’une couleur plutôt qu’une autre pour décorer son seuil ; par goût et par virtuosité, on s’adonne à reproduire avec soin les décors géométriques ancestraux en Kabylie. En suivant la règle collective, garante de la simplicité, on peut, individuellement et singulièrement, exercer sa liberté, afficher sa dignité d’être humain dans l’art d’habiter le monde.
À la fin de la conférence, un extrait d’article écrit par André Ravéreau a été lu, en écho à la discussion.
André Ravéreau, Architecture vernaculaire et effets plastiques, Poïesis, 1995
Cette qualité esthétique du vernaculaire à laquelle nous nous intéressons n’a pas été produite de la même manière que celle du monumental, où l’architecture consistait à faire de la représentation. Au contraire, l’esthétique du vernaculaire est celle du maçon qui n’a jamais eu la prétention d’en produire une, qui a construit sa bicoque sur toute la Terre, à travers tous les temps. Il y avait deux producteurs, maintenant, il n’y en a qu’un. Les architectes que nous sommes abordent aussi bien les programmes qui relèvent du vernaculaire que les autres; il n’y a pas de spécialiste. Ces choses qui se produisaient innocemment, nous ne pouvons plus les produire innocemment.
Donc pour faire des choses humbles, nous sommes obligés d’utiliser les démarches du faiseur de temple. Dans mon travail au CAUE de Lozère, je vois des permis de construire tous les 15 jours et on peut constater que ce maçon, ce charpentier qui au cours des âges ont produit l’esthétique dont je viens de parler, maintenant ne la produisent plus parce que justement la prolifération des matériaux, des techniques, les mettent dans un choix immense à faire. Et par rapport à la qualité du vernaculaire antérieur, on constate mondialement des indigences vraiment certaines. Quand il y a des volontés d’ostentatoire, elles sont maladroites et encore plus redoutables que l’absence de volonté. Aujourd’hui, le maitre d’oeuvre n’a pas le temps de s’approprier, de dominer le matériau comme il en a eu le loisir autrefois. […]
Une fois, je travaillais sur un projet et une étudiante qui m’avait souvent entendu parler m’a dit « Mais tu cherches la forme » et je lui ai dit « Oui, effectivement, je ne peux échapper à ce contrôle parce qu’il y a trop de choses derrière nous pour que je sois innocent et surtout parce que je n’ai pas suffisamment de certitudes comme en avait le maçon en faisant ces choses-là. Ce qui fait que je suis obligé de rechercher autour de moi des choses qui vont me rassurer et cela sans que je cherche à plagier ou à reproduire, mais je me dis : « Est-ce que ce sera aussi beau et aussi sûr que ce qu’il à fait ?